Je viens de
parcourir le deuxième monologue patois de la malle aux souvenirs.
Et j'ai pu constater que l'auteur avait déjà incorporé
pas mal de mots en français enseignés dans nos écoles
depuis la deuxième moitié du 19ème siècle.
Cela est assez plausible car le vrai patois, l'authentique, manque de
mots pour peaufiner son vocabulaire. De plus en plus, je m'aperçois
que tous ceux qui pensent détenir les fondements de ce dialecte
sont parfois loin du vrai résultat quant à sa reproduction.
Afin d'en ressortir la quintessence, je me suis efforcé également
de mettre l'accent là où, comme à Omblèze,
il y avait l'accent spécifique au pays : soit faire traîner
certaines syllabes. Exemple on prononçait Omblèèèze
; Sourti la feyaaaa (sortir les brebis) Ne sachant pas très bien
si dans les rédactions de textes patois, ici chez nous, on tenait
compte du singulier et du pluriel, je n'ai pas fait ces accords. Je
le reproduis dépouillé de tous les autres accords grammaticaux
que l'on serait tenté d'y inclure. Je le livre à l'état
brut pourrait-on dire.
J'ai dû me remettre intérieurement à réciter
du patois afin de bien cibler la signification des mots étalés
à la hâte et dans une orthographe des plus fantaisistes
sur des pages de cahiers d'écolier où, par endroits, le
temps est marqué par quelques effacements, heureusement sans
grande conséquence. A l'aide de cette pratique mémorielle,
j'ai été surpris de constater que tel un vieux parchemin,
ce dialecte - qui était celui de mon enfance, de l'environnement
familial - était toujours là, comme dans une cachette
au creux du disque dur d'un ordinateur actuel. Enfants nous parlions
deux langues : le français de l'école et le patois de
la famille, mais bien sûr en famille ou ailleurs, ce n'était
qu'occasionnel. Et de toute façon, il était interdit dans
les classes d'en faire la pratique, même entre écoliers.
Si bien que, petit à petit, dans la vie de tous les jours, les
mots se perdirent jusqu'à ne plus même se souvenir de tout
ce vocabulaire et pour moi ces trouvailles du temps à jamais
révolu me bouleversent intensément.
Naturellement, ma prétention dans ce domaine est bien modeste
et ne va pas contredire les recherches effectuées par de fortes
personnalités comme Patrick Mazellier docteur en ethnologie ou
l'éminent Jean Claude Bouvier.
Et surprise ! je viens de lire dans le Dauphiné Libéré
du samedi 12 mars que des rencontres régionales occitanes devaient
avoir lieu à Crest salle Roch Grivel sous la direction de "
Patoisants de la Vallée ". Cette coïncidence arrive
à point, L'histoire de la partie de chasse viendra certainement
étayer des échanges fructueux parmi les mordus des vieilles
traditions.
Etant donné l'intérêt que j'ai cru devoir apporter
à ce patois, à sa prononciation, à sa phonétisation,
à son intonation, je passe ce conte entièrement dans sa
version d'origine. Vu sa longueur, dans la prochaine Gazette paraîtra
sa traduction dans notre langue actuelle.

La première
page sur cahier d'écolier de l'histoire de cette chasse !
Je
suppose que mon Père avait du recopier à la hâte
ce texte détenu par un ancien et que,
à chaque reprise quelques mots pouvaient varier.
Je demande donc l'indulgence si par hasard un lecteur remarque une anomalie.
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Une partie de chasse.
J'étais
parti dans le terrain, bien harnaché comme un chasseur ; la cartouchière
pleine et le fusil chargé. Et je barulais (se promener) le long
des ribes (talus). En regardant en l'air dans les peupliers, content
si j'avais tombé sur un simple "fia fia". Mais je ne
voyais ni caille ni un cul blanc sur une motte.
Alors je fis un trou au milieu d'un buisson. De là, je voyais
les branches d'un arbre au bord d'un sentier où pouvait venir
se poser l'oiseau. Deux perdrix qui n'avaient encore point d'ailes qui
se calaient les épaules venaient "balin balan" par
le sentier. Dedans mon trou, vite je fus. "Et que elles passent
vite", dis je ! en se faisant des poutous au droit de moi dans
la draille . "Qu'il ne s'agirait pas de leur faire peur" pensais-je.
Elles s'arrêtèrent subitement en se serrant contre le buisson
Et lui il disait : "Ma fleur divine".
Et elle répondit : "Mon rossignol, asseyons-nous ici pour
faire nos poutous". Le petit monsieur faisait la pose sur les bras
nus de la jeunette. Je voyais son regard ardent et sa main qui chassait
la bestiole qui piquait aux genoux la peau molle de la belle Chatoune
au regard langoureux.
Moi je retenais mon souffle de peur de voir déguerpir cette galante
paire de passereaux étant dans la force du bel âge. Et
ne voyant rien au voisinage, je me lassais du bruit de leurs poutous.
Tout attendri je laissais faire leur petit train de câlineries.
Ils étaient bien jeunes et leurs poutous bruyants.
"Oh grand Saint Hubert" que dis-je ? "Mais qu'ai je fait
pour endurer tout le martyr d'un chasseur prisonnier de son trou. Car,
pour tant belle que soit la chose, que j'en sois ou non la cause, il
vient toujours un moment où il semble y en avoir assez ! Pour
les amoureux qui trop s'embrassent, vient même un temps qui peut
lasser".
Ainsi il en fut pour moi d'entendre leurs poutous malgré leurs
mots doux à entendre et leurs beaux yeux au regard tendre. Ils
me faisaient peur toujours au gibier. Et dans mon trou, je voyais d'avance
que je devais me résigner à ma malchance, que je ne peux
pas chasser en telle compagnie, depuis une heure que ça durait,
pas un oiseau ne passait !
Et ça m'aurait permis de faire un peu de bruit. Pourtant je ne
pouvais pas en faire de crainte d'effrayer la jeunette. D'abord, qu'en
voyant maintenant un chat, ainsi je ne savais plus que faire.. Et pour
alerter les embrasseurs, je brandais (secouais) alors une branche avec
le canon du fusil. ET ET..."Qu'est ce que c'est ?" que fit
la perdrigoune qui tremblait de peur ? Et lui, il lui répond
:" tu es bien peureuse, ça doit être un gros lézard
qui court dans le buisson !"
Puis voilà de nouveau des poutous, en se serrant contre le bosquet.
Mais moi voyant dans leurs yeux que le sang brûlait, et lui qui
lui parlait dans l'oreille, baissant les yeux, la jeune fille semblait
consentir tout ce qu'il voulait ! De voir ça, c'était
dommage, ils étaient trop beaux pour se faire outrage, s'ils
avaient cherché à se mettre dans leurs torts. Dans mon
trou, je pensais dans ma tête que j'ai quand même main leste
pour tirer du fusil s'ils allaient trop loin. Puis véritablement,
tout chez eux se gâtait, c'était une flamme qui les brûlait
et je devais à tout prix arrêter ça sur le champ.
Et avec mon regard plein de reproches, pour le gros péché
que je voyais si proche, dans l'air je tirais deux terribles bassèous
(coups assourdissants) Pan.... Pan..
Du coup,
la chatte moitié folle, comme un oiseau qui s'envole, s'élance
du buisson en hurlant de frayeur et tombe sur les embrasseurs honteux,
bien dérangés par le chasseur. Je les suivis et leurs
gestes vergogneux m'avaient mis mes jambes en flanelle. Dans mon sac,
pas une tourterelle ! Quand ils furent assez loin, je sortis de mon
trou et puis je pensais : "Quand tu vas chasser, tu as assez souvent
tes jambes lasses, pour une fois que tu t'es reposé !!!".
Puis je passais le fusil à l'épaule et rentrais à
l'ousteau.
Voilà
l'histoire de nos jeunes embrasseurs, si la raconter est pour leur plaire.
Et quand la chasse est ouverte, gardez-vous bien des amourettes, car
les buissons ont des oreilles.
Et ça
se dit, mais c'est bien vrai !
Auteur non
identifié
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Ounô
partiaôù dé tchassô.
Eguerron parti
din làà terràà, bien harnatcha coumo lou
tchassaîré. La cartoutchièrô pleinô
et lou fusil tchargea et anèroun baru¬laà lou long
de la riba èn avisant èn haout din lou pibou. Cuontin
si tchayavon sù ùn simplé Fia Fia . Màà
ni véguèront uno callio, ni ùn quoiu blanc dessus
uno moutô. Alors faguèront un pertus din lou mitan d'un
bouissoù. D'aqui véyèn bien laà brantchà
d'uno sourbièro à cousta d'unà drayô onté
qué pouyô véni se posa l'ocèlou.
Douaà perdrigassà qu'ayant gis d'alas que sè contavouns
las épanla, veniant balin balan per lou drayou. Dedin moun pertu
vitè fuguerou et que passent vite per eci diguèrou. Que
s'adjirio pas de lou fa pô au drèet dé mi din la
drayo et se fasan dou poutous Peeû sarrestèroun subi
è sè sarravoun couiniroô lou bouissou.
Et elou disio : Ma floù divinà.
Elà répoundiù : moun roussignoô asséten
nou éci, et beven nostrè poutoù . Lou moussa liou
fasio pauseto sù lous bra nu de la giounetto ; veyoù dè
soun règard ardin et sa man qué tchas savo laa bestiola
què piquavoun au djanou la pèou mello de la bello chatouno
au règard laingou rouù.
Mi, retenioù moun soufflè dè po de verrè
l'invoulade d'aquello galentounette payro dè pas serioux que
din la fouarço do bel adjè. Et veyant ren din lou vesinagè,
mè lassavèrou do bru dè loùr poutou. Tout
attèndri, lessavoù fa lour pètit tran dès
calinaïrèt, eroun bien joouiné et lour poutoôu
fasion gau.
Grand Saint Hubert, maïs què fao dirè per racountaà
tout lou martirè d'ùn tchassaïre présounier
de soùn pertu. Maïque tant jolio que fuguè la tchasso,
que n'èn fugassè ou nô la caouso, vin toudjou ùn
moumèn què mè sémble què n'y ô
proù douou amouirioux què trop s'embrassoun. Vint mêmè
un timp què pouvioù mè lassà.
Coumoco fure per mi lour poutou d'oviï. Contuniavoun toudjou looùr
mots doùx et mi à tous oviï, obè lour beou
yooù d'avé lou règar tèendrè, me
fasian per aco toudjou pao au djibier et d i n moun pertu veyavou d'avanço
que me faudriô mè résigna din ma maoutchanço
quèro, que pouyou pâà tchassa in tello coupagnio,
Depeu une houro qué quo duravo, pas un osset que passavö
!
Co m'auriou permi dè fa un po dè brut ! Pamin pouyou pas
n'in fa dé crainto de fa poô à la djouinetto. Mais
vaqui que véguèrou din laà brantchà dô
bouissou uno tchàtô que gettavo. Mi, sayou plus que fà
per alerta lou embrassaïrè . Vaqui que brandèrou
alôr ouno brancht¬choô obè moun cannoù
et que faget saouta la bestio. "et Qu'ès acquot , que digèrè
: la perdrigouno" E zèlou li répouand "sia bien
paourousoô, daou esse uno grossô larmuze que couurè
din lou bouissou !"
Peu vacqui mail lôu poutou. Peu sè sarrèren couentrô
lou bousquettou.
Mi veyou à lou yoô quet lou sang buliavo. Et elou què
li parlavo din l'oreillô. Baissant lou yoô, la juino filliô
simblavo counsentiï tout cè què elou vouliô.
De verè aco èro démagè. Eroun trop bèou
per fa outragô. Si ayan trertcha à sè bouta din
lou touar, diim moun pertu pensavou dim ma testo quauriou quand
mèmô la man lesta per tira doù fusil si anavoun
trop foir !
Maï vèritabiamin, tout se gatavô. Ero uno flammoô
que lou brulavô. Que devoun à tou prix arresta su lou tchamp
!
Et moun règard aôûlioôi de reprotchè
dooù grôou pêtchaâ, lou veyant tout à
cousta. din l'air tirèrou dous terriblèé bassèoù.
Dôoù coô la tchatô métà foillô,
coummô un oùssè que s'in¬voilô saoûtavô
dô boouisso in bràmant dè pôo et vin tchèrè
sù loùs imbrassaîrèè cafouïroù
què mi lou tchassaîre èroù vengù dérindjà.
Et peù aubè maà tchambàà ein flanello,
din moùn carnièoù pà unô tourtourellà,
è quand fuguèroun prou lùn sourtiguèroù
dé moun pertù. Et peù pensèrou : quan vas
tchassà, à bèn souvèn là jambà
fâtiguàà in rèvènan, comocô,
per uno féè té sià bièn rèpoousà
! Peeù passèroù loù fusi à l'épanlô
è rintrèrou à l'oustàoùù.
Vaqui lou couanté dè nostrèès djouïnéè
imbrassaïré.
Belèoù que la rincountrô ôoù pogù
loù plaïré,
Soulamèn fasèè bien attentioù din vostrès
amourettàs ,
Percé què lou bouissoù oôùvons obè
loù oreîlià.
A quô
se dït ; soulamènt é bèn véraïl.
Loù
COUNTAÏRE
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Les festoyeurs commençant à avoir la " panse "
assez bien tendue après plus d'une heure ou deux d'efforts de
colmatage à grands coups de fourchettes, le tout bien huilé
par des ingurgitations, sans modération, de Clinton ou de Bacco,
les besoins de défoulement se propageaient dans l'expression
verbale et de là fusaient les histoires rocambolesques ou salaces
à volonté, chaque conteur apportant la note propre à
son talent dans le domaine pour lequel il excellait. Il y avait aussi
les chanteurs aux voix plus ou moins harmonieuses et je me souviens
très bien de quelques uns ou quelques unes qui, dès leur
intonation, créaient comme une hypnose parmi tous les assistants.
Je me surprends encore à écouter, comme dans une sublime
hallucination, tout en composant ce texte, la merveilleuse "Chanson
des Blés d'Or" Mais déjà aussi sur un registre
tout récent pour le moment : Line Renaud avec " Ma Cabane
au Canada" reproduit sur disque 78 tours, détenu par de
valeureux détenteurs de phonographe.
Pour les moins nantis, qui n'avaient ni la voix ni le don des blagues,
il leur restait la possibilité de monologuer.
Ce conte est
un reflet du puritanisme d'époque et de le matérialiser
à un couple d'oiseaux, le pas était vite franchi. La Fontaine
en a été le grand utilisateur en son temps pour des fables
satiriques d'animaux en tous genres.
J'ai compris pendant le déchiffrage que l'auteur avait mis les
paroles en vers. Cependant vue la complexité de toutes les recopies
antérieures, la phonétique de ces rimes est très
difficile à faire ressortir. Mais on peut toutefois en retrouver
des traces en parcourant cette histoire en français. L'essentiel
étant d'avoir pu en garantir le sens réel et l'âme
qui est en elle.
J'ai aussi incorporé quelques termes de patois afin de ne pas
perdre l'odeur de notre si beau pays de Gervanne dans une littérature
trop conventionnelle. Il est également curieux de constater que,
tout au long du temps qui passe, et comme toutes autres choses, l'humour
évolue, ce qui portait à rire dans ce récit, ne
ferait peut-être même pas sourire à l'heure actuelle.
Gaston
EMERY
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