Monsieur Lantheaume
accomplissait ainsi sans s'en douter ce qu'on appelle de nos jours une
uvre humanitaire. Mais comme pour beaucoup de ses semblables,
c'était le cur, c'était le naturel, et il n'en n'attendait
aucune récompense.
Sa fille unique Yvonne, à la douce expression verbale, faisait
des études qui la conduisirent à enseigner la sténodactylographie.
Elle épousa Monsieur CAILLET, un électricien sur voitures,
à Crest, en 1941. Naquirent de cette union deux filles. La seconde
vit le jour en 1944, date à laquelle planait déjà
sur tout le Vercors l'ombre diabolique du vol noir des corbeaux, bien
au-delà de nos plaines ! De nombreuses formations FFI et autres
trouvèrent parmi nous refuge et gîte accueillants, lorsque
harassés de fatigue par de longues marches, l'impérieux
besoin de reprendre des forces se faisait sentir. Pour eux, c'était
un répit.
En ce lieu serein, le courage reprenait le dessus, pour affronter un
lendemain fait d'incertitudes, d'impondérables, où peut
être la vie n'irait pas plus loin. Louons la complicité
d'une population discrète sûre et efficace, que ce cataclysme
de l'histoire est en train de souder jusqu'au plus profond de nos vallons.
Début juillet 1944, le poste de commandement des FFI de la Drôme
à la recherche de l'emplacement idéal s'arrêtera
là. L'accueil discret et cependant chaleureux réconforta
le futur Général De Lassus Saint-Geniès, chef d'Etat
Major. Parmi les voisins, son intendance glana suffisamment de quoi
nourrir un excellent moral.
Mais bientôt la bataille du Vercors fit rage. Les échos
retentissants du carnage tout proche, là-haut dans les plateaux
de Vassieux et de la Chapelle en Vercors nous parvenaient. Notre quartier
où germaient des chefs prestigieux entrait dans l'Histoire et
la légende.
La ferme LANTHEAUME restera donc une mémoire, et le cadre naturel
de nos jours encore est toujours vierge de toute souillure moderne.
La paix revint. Madame CAILLET, ex-Mademoiselle LANTHEAUME, le vague
à l'âme, remonte aux sources. Toute l'histoire de son enfance
est là ! L'attrait devient irrésistible. Les pierres s'expriment,
leur murmure d'abord imperceptible, devient lancinant, le gazouillis
du ruisseau attend sa Muse, les aigles tout là-haut veillent
de leur il perçant ; le soleil, adulé par les nuages
blancs, irradie tel un dieu de lumière ce paysage caché
au cur d'un écrin de montagnes et de collines luxuriantes.
Pour elles, comme pour tous les anciens du pays, il est encore plus
beau parce qu'il est notre patrimoine, pour nous, dans notre cur.
Et la Muse fredonna, et ses accords sur fond de brise légère
s'envolèrent comme l'invitation des Sirènes ...
"Voyageurs fatigués, guerriers des temps modernes, la déesse
des lieux vous attend et vous enveloppera de sa tendre sollicitude.
Vous plongerez votre corps alangui dans l'eau de la piscine régénérée
aux sels de la terre. Le soleil réchauffera vos muscles détendus.
Puis la table déversera sur les papilles gourmandes toutes les
subtilités mitonnées dans les fourneaux rayonnants de
mystérieux alchimistes, tous gastronomes des dieux".
La magicienne, Maître de céans vient de sourire heureuse,
comblée.
Et la troupe d'Annibal, endormie à CAPOUE, s'est dressée
émerveillée. Capoue renaissait, Capoue revivait ! Le hameau
des MAILLETS, comme en hypnose, s'éveillait, bercé par
les rayons de douceur de son infante. Capoue fit des délices,
et la renommée de ses agapes bientôt franchit l'espace.
On vint de loin ; une étoile au firmament brillait. ...
Secondée par son mari, habile en toutes besognes, et mue par
un enthousiasme sans faille, Yvonne devint Premier Magistrat de la commune
en 1954. Sa force de conviction obtint des autorités l'ouverture
d'un petit aéroport, classé de haute montagne, sur la
crête d'une colline. Cette même colline où, pendant
mon enfance, tout en gardant vaches et chèvres, je rêvassais.
Car c'était aux balbutiements de l'aviation, et des pilotes comme
CAVALI, aux attaches familiales avec Monsieur Martial LAIGAT de Plan
de Baix, venaient enflammer mon imagination par quelques acrobaties
spectaculaires.
Mon oncle Andéol, lui aussi aviateur à l'époque,
se souvient toujours de l'illustre pilote.
Cet aéroport apporta une touche de modernisme qui s'intégra
finement dans l'austérité du site. Il engendra un regain
de dynamisme et Capoue se trouva en plein paradoxe. Projeté loin
des grandes structures modernes, Capoue, d'un coup d'aile, ralliait
le monde grouillant ! Bientôt les gracieuses évolutions
des pilotes chevronnés devinrent familières. Et un jour,
un aviateur légendaire, grand amour de la Princesse Margareth,
posa ici ses ailes. C'était le Group
Captain PETER TOWNSEND. Celui-ci, accompagné d'un autre pilote,
M. Henri GIRAUD, voulut renouer un instant avec les fortes sensations
d'antan. Il ne fut pas déçu. Et tout simplement, Yvonne
et son mari avaient la classe appropriée aux grandes circonstances.
Une piscine chauffée construite à la force du poignet,
accueillit plusieurs fois Pierre DAC et ses facéties (souvenez-vous
de la bonne vieille émission "L'Os à moelle",
vers 1972). Annie CORDY usa souvent des bienfaits de cette jouvence
(ce qui apparemment lui a réussi). Une amitié se noua
entre ses deux acteurs, et Annie, tout en correspondant toujours avec
Yvonne, regrette sincèrement cette belle époque. J'ai
eu ces temps derniers l'insigne honneur de lire quelques unes de ses
correspondances avec celle-ci. J'ai parcouru aussi un Livre d'Or constellé
des plus belles perles littéraires. Ce trésor accumulé
au cours de ces trente dernières années, est susceptible
de rendre jaloux plusieurs grands établissements de notre région.
Malgré quelques coupures de presse élogieuses, s'est-on
douté que chez nous Franck FERNANDEL rêva d'un séjour
? Mais l'hôtel étant complet, ce fut finalement notre non
moins talentueux Germain REY de l'Hôtel du Vellan qui l'accueillit
à Plan de Baix. Rubrique sports : Le 7 juillet 1962, le L.V.S.
de La Voulte fêtait dignement le début de sa montée
vers la gloire.
Citons aussi Paco RABANNE, le célèbre couturier. Peut-être
ses croyances en une double vie ne sont pas étrangères
à l'appel de Capoue. En tout cas, ravi en son âme, tous
les, ans avant la Côte d'Azur, il s'octroyait ici une halte.
Ce Livre d'Or fait entre autres état d'un séjour' heureux
de détente et de simple convivialité vécus par
Henri KUBNIK, J.C.
BOUSSAC, des tissus, Elisé LAMOTTE, actrice de théâtre,
Nono ZAMETT comédien, du Général en Chef de la
Gendarmerie de Belgique à Bruxelles. La liste est longue. Que
ne puis-je hélas toute la retranscrire !
Le Livre d'Or est aussi une suite !ninterrompue d'émotions au
fur et à mesure du déroulement de ses feuillets. La plus
forte en moi viendra couronner cette liste.
Ainsi, il n'y a pas si longtemps encore, au début de ce siècle,
notre berceau se nommait CHEYLARD. En raison d'une homonymie génératrice
d'imbroglios avec LE CHEYLARD en Ardèche, on débaptisa
notre commune. Je ne sais par quel hasard, un habitant du pays natal,
en passe de désertion, légua son nom. C'était le
dernier de la famille ESCOULIN.
Les ruines de sa pauvre demeure apparaissent encore en un recoin presque
inaccessible.
Et voilà qu'un descendant, soudain, est réapparu comme
une vision presque surannée d'un être pourtant bien réel
André ESCOULIN est
venu à Capoue lorsqu'il était encore en activité.
Pour la renommée du restaurant, bien sûr, mais une onde
secrète l'attirait.
Après avoir eu une carrière éblouissante comme
Directeur des Affaire Sociales à la Société Nationale
Industrielle Aérospatiale, il prit sa retraite le 30 décembre
1994. Maintenant ses liens avec Yvonne se resserrent, et peut-être
écrira-t-il ses mémoires, par devers ses racines, en terre
d'ESCOULIN.
Après que M. CAILLET eut quitté ce monde, CAPOUE tout
doucement se rendormit. Le palmarès d'Yvonne, composé
des géants de nos temps modernes, inscrit dans le Livre d'Or,
transforme celui-ci en tablettes indélébiles. Une simple
fille de chez nous, issue de notre terre, aura pour les générations
futures, implanté un riche souvenir au goût de semi légende.
Elle et son mari ont été le vivant exemple du dynamisme
que devrait afficher toute équipe promotionnelle en charge de
valoriser nos sites tellement divins et pourtant tellement oubliés
de nos médias !
On pourrait aussi exhumer combien de belles histoires que l'on savourait
l'hiver sous la lampe à pétrole ou à carbure, en
cassant et en triant les noix d'où l'huile extraite avait la
saveur d'une onction des dieux de cette terre. Et la chasse, distraction
vénérée de nos paisibles montagnards ! A elle seule,
elle fournissait un menu d'anecdotes inépuisables où en
ces temps anciens, télés et radios ne déversaient
pas leur intox. M. CAILLET, lui même grand chasseur devant l'Eternel,
invitait aussi ses convives ravis de jouer l'instant d'une journée,
les acteurs d'un mémorable safari.
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